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  • Photo du rédacteurKemi Outkma

ZAD du Testet.


Mercredi 17 septembre 2014

Je me suis rendu à la ZAD du Testet ce matin.

Je me suis d'abord autorisé un petit tour des environs, tout d'abord du côté de la poignée d'agriculteurs favorables au barrage. Enfin il convient visiblement davantage de parler d'exploitants agricoles que de paysans à ce que j'ai pu constater... De gigantesques parcelles s'étendent, labourées si profond qu'il paraît difficile de pouvoir y marcher. Des sillons (tranchées?) séparés par d'énormes blocs de terre qu'on pourrait prendre pour des rochers. Une gigantesque étendue rouge qui m'a plus fait penser à un champ de bataille qu'à une parcelle agricole.

Un peu plus loin une autre étendue, une autre facette d'une exploitation, rarement vu aussi géométrique et symétrique comme implantation, un complexe qu'on s'imagine facilement concentrationnaire de volatiles que je ne saurais nommer car aucun des individus ainsi « élevés » ne semble daigner venir patauger dans les quelques dizaines de mètres carrés de boue déserte de tous végétal, pourtant mis à leur disposition pour mériter l'appellation « plein air ».

Je finis mon tour par les quelques petites fermes du pourtour de la forêt, humbles espaces dont les propriétaires verront bientôt s'amoindrir l'irrigation naturelle des sols et dont certains vont se voir annexer quelques hectares au profit du chantier. Je me dis que cette histoire ressemble de plus en plus à une caricature... et ce n'est que le début !

Au carrefour situé à plusieurs centaines de mètres de la zone d'occupation, je m'arrête devant les blocs de béton tagués qui délimite en quelque sorte la zone. Je m'interroge un instant sur le bien-fondé de ma visite, j'ai agi, comme à l'accoutumée sur un coup de tête et me voilà à hésiter. Un peu plus loin, postés à une entrée de champ, j'aperçois deux gaillards à la mine patibulaire qui ne me lâchent pas des yeux et s'engouffrent bientôt dans un utilitaire pour venir à ma rencontre. Je doute de leur éventuelle hospitalité, fin des tergiversations, ma décision est prise, j'enclenche la première, franchit le carrefour et me précipite en direction des zadistes.

Trois d'entre eux m'interceptent bientôt pour me demander la raison de ma présence, je leur réponds sincèrement en montrant mon calepin et mon appareil photo, que je suis venu voir ce qui se passe, ils m'ouvrent la voie et m'indiquent le parking. Un vaste champ où s'agglutinent voitures, camions et tentes. Je me rends ensuite à la bâtisse qui tient lieu de camp à ces frondeurs clandestins et y découvre tous ce que mes a priori me faisaient redouter : le gigantesque feu de camp, les toilettes sèches construites en bout de palettes, les structures de bambous où sèche pêle-mêle le linge de la communauté, quelques sons de percussions et de guitare sèche et la population bigarrée qu'on s'attend fatalement à y voir évoluer ; des dreadlocks, des crêtes, des vêtements amples et rarement immaculés, des tatouages, des piercings des peintures corporelles et nombres d'autres codes ostentatoires... les clichés et caricatures continuent de s'amonceler autour de moi.

Je traverse le camp en direction du prochain champ, situé derrière la bâtisse où certaines tonalités de couleurs bleues et kakies attirent ma curiosité. J'essuie quelques regards dénués d'hostilité mais emprunts de méfiance. Il faut dire qu'avec ma boule à zéro, ma chemise et la chaîne de ma montre gousset qui pend sur mon jean propre, je ne semble pas faire partie d'une de ces confréries new-age, post-beatnik, post-punk, post-traveller, amoureux de la terre ou activiste engagé...de toute façon ce n'est pas le cas. Le soleil cogne déjà fort pour 10H du matin alors j'hésite à enlever ma chemise et me mettre torse nu, me disant que la vision de mes tatouages pourrait peut-être m'aider à briser la glace. Je renonce finalement, je ne suis pas venu pour intégrer un groupe ou me faire des amis, je suis venu voir par moi-même.

Mes yeux ne m'avaient pas trompé, il y a 5 fourgons de GM et 2 camions bâchés de bidasses qui sont stationnés juste là derrière. L'impression d'être en zone de guerre ne me quitte plus. Je n'ai toutefois pas le loisir de profiter longtemps de ce défilé d'uniformes, les unités remontent bientôt dans leurs véhicules qui s'ébrouent pour les retrancher à une cinquantaine de mètres plus loin, à la bordure du chantier de déboisement. Là les GM commencent à former un cordon tandis que les soldats disparaissent pour aller encercler les machines afin de les défendre des zadistes pourtant d'une rare non-violence pour des résistants et de toute façon dépourvus d'armes ainsi que pour patrouiller en cercles concentriques dans la forêt afin de prévenir d'éventuels nouveaux fronts comme je l'apprendrai par la suite.

L'information du repli militaire se répand rapidement et bientôt, tout comme je l'ai fait machinalement lors du départ des camions, les opposants se mettent en mouvement en petites grappes humaines éparpillées vers la nouvelle limite, vers la nouvelle ligne de défense établie par les autorités. Et pour cause ! Sur la gauche le cours d'eau et ses inextricables buissons de ronces, sur la droite la petite route surélevée barrée par les fourgons de GM et derrière le cordon bleu-casqué, une parcelle déjà déboisée mais pas encore débroussaillée et donc quasi-infranchissable si ce n'est par l'unique chemin qui la traverse et qu'on dû emprunter les machines quelque temps plus tôt. J'arrive à l'extrêmité du champ, et du futur cordon, un instant avant le GM qui doit y prendre place, j'ai deux mètres d'avance sur lui et je suis l'air de rien, de mon pas nonchalant et le regard dans mon appareil photo en train de compromettre sa mission avant même sa prise de poste. Je l'entends alors trottiner péniblement sous le poids de son barda, j'entends les plaques qui composent sa carapace s'entrechoquer puis il crie un « Hey » autoritaire au moment ou il se plante devant moi, bras droit tendu dans ma direction et paume ouverte pour me bloquer le passage et le bras gauche légèrement replié, la main crispée sur la poignée de son bouclier.

« T'entends ce qu'on te dit ! On ne passe pas !

-Bonjour, je lui réponds, comme à un gosse impoli, le fixant dans les yeux

-Quoi ?!, s'exclame-t-il un peu pris au dépourvu avant d'enchaîner avec : euh...oui... bonjour...

Voyant que je n'ai pas affaire à une brute épaisse sans circonvolutions corticales efficientes, je me permets quelque insolence :

-Ben oui, « bonjour » oui, ça paraît plus approprié pour entamer une conversation non ? Entre êtres humains s'entend...

-Oui ben moi je suis pas là pour discuter, je suis là pour vous empêcher de passer et d'aller foutre le bordel

Je me demande un instant si le passage au vouvoiement est dû au rappel de la courtoisie et de sa condition d'être humain que je viens de lui fournir ou une façon de nous globaliser. Je ne m'attarde pas sur ces considérations et lui réponds :

-Et bien moi je suis simplement venu voir ce qu'on faisait de mon argent. En tant que citoyen, français et tarnais, je crois avoir le droit de savoir ce que l'on fait de mon argent, cette partie de mon travail que je reverse et qui sert à payer vos salaires et le travail des machines là derrière.

Il a de nouveau un instant d'hésitation, ne sait pas trop quoi dire, je fais un pas supplémentaire, il se crispe davantage et porte la main à sa bombe lacrymo. Je m'abstiens d'aller plus loin, je n'ai rien d'un héros ou d'un militant, la seule raison qui me pousse à ce moment là n'est rien d'autre que mon instinctive haine de l'uniforme et cette arrogance dont les années n'ont pas réussi à me départir. Ce ne serait ni utile ni malin de se faire gazer là, maintenant pour rien d'autre que ma satanée volonté d'emmerder du botté. Et puis j'ai mes gosses à aller chercher à l'école tout à l'heure.

Je me saisis de mon appareil photo et me détourne du faciès méprisé et méprisant qui s'orne maintenant d'un sourire vainqueur et suffisant que son propriétaire semble avoir du mal à dissimuler. Je prends quelques clichés des machines, zoom au maximum, c'est là que je vois le cordon de bidasses qui les encercle. Je longe le cordon de GM, l'impression de passer en revue une troupe de combattants dans HALO, je prends quelques clichés que j'aimerais démonstratifs du sentiment d'oppression qui plane ici, et de la désolation qui règne derrière. Mais je n'ai pas l'oeil du photographe, je le sais ; je suis plutôt doté du cœur du poète et de ses glandes lacrymales... aussi je n'entends bientôt plus les sarcasmes et les chants ironiques des zadistes, ni les aboiements qu'ils récoltent en retour, je n'entends bientôt plus que les moteurs des machines et des tronçonneuses, comme des grognements de monstres insensibles à l'assaut de la forêt et les craquements, les bruits de chute, les froissements de feuilles et grincements de bois comme autant de soupirs plaintifs. Je laisse pendre mon appareil à sa dragonne pour essuyer discrètement les larmes qui me perlent aux paupières. Un GM croise mon regard brillant et le détourne aussitôt. Quelque chose gonfle dans mon sternum, mi-colère mi-chagrin mais une diversion tombe alors à point nommé pour éviter la déchirure complète et épargner ma susceptible fierté et la tranquilité du reste de ma journée. Enfin c'est ainsi que je le prends à ce moment-là...

Car voici qu'arrivent plusieurs dizaines de personnes supplémentaires dont comme je le constate alors des journalistes, ou en tout cas des gens de médias et quelques intellectuels et artistes locaux volontiers affichés anarchistes, libertaires, écolos, engagés ou que sais-je encore et qui de ce que j'ai pu voir, sont principalement venu se montrer, faires la causette aux médias comme aux flics et donner des ordres aux opposants qui vivent ici depuis de longs mois sur la façon dont ils doivent agir. Une poignée d'entre eux, quelques vieux crêteux secs et noueux, s'insurgent d'ailleurs de cette prise d'autorité et les envoient balader.

Je ressens alors une profonde compassion et un grand respect pour ces zadistes, candides martyrs modernes seulement guidés par leur cœur. Les politiciens, les promoteurs, les gros exploitants de culture intensive et tous ceux à qui le chantier et ses mouvements d'argent et d'eau vont profiter sont finalement contents de les avoir sous la main, en les montrant tels qu'on les voit souvent, comme des marginaux extrêmistes, des illuminés qui défendent trois têtards et ne se rendent pas compte des besoins des citoyens. Les polticiens de l'autre bord, les intellos et autres donneurs de leçons et de conférence sont bien content de pouvoir les utiliser et les envoyer se faire gazer et tabasser à leur place. Quant à la population, celle acquise à la cause du barrage a même accouché d'une milice nommée « antibobo » composés d'individus qui rôdent à l'extérieur de la zone et viennent parfois la nuit, masqués, passer à tabac les zadistes endormis. Les autres, doivent comme d'habitude, s'en moquer.

Je profite d'ailleurs pour inviter ces messieurs les miliciens à s'enquérir du véritable sens du mot bobo, car il y a un monde entre un bobo et un zadiste. Le bourgeois-bohème dont bobo est l'évidente contraction c'est un petit bourgeois qui ne s'assume pas et joue le marginal, c'est le type qui s'indigne, mais devant sa télé, devant son ordi ou autour d'une table avec des proches, c'est un type qui prétend vouloir changer le monde mais qui flippe de perdre ce que celui-ci lui permet d'avoir, un type qui fait son jardin, son compost, le tri des déchets, qui consomme bio et produits équitables et qui finalement confond petites activités de bonne conscience et véritable action environnementaliste. Un type qui aimerait bien avoir du courage mais qui a surtout du confort, un type qui regarde les zadistes et ne peut s'empêcher de ne pas croire en leur action, convaincu que tout est perdu d'avance et qu'ils ne changeront rien en faisant des feux de camp, en chantant des chansons et en fumant des joints, mais qui n'a pas le cran de faire plus, de faire ce qu'il faudrait faire. Un type un peu comme moi au fond, qui devrait admettre que sans la vigilance et l'engagement sans faille de ces gens depuis de longs mois, ce projet aurait été réalisé sans même qu'il le sache réellement, et qui devrait venir gonfler les rangs des opposants. Parce que soyons clairs amis miliciens, si les authentiques bobos, qui ne sont jamais que la plupart des contribuables, venaient à se bouger et se joindre au camp, alors l'affaire serait vite classée.

Quelqu'un demande si on connaît la position des miliciens, les différentes réponses qui fusent dans le groupe m'apprennent que les deux rustauds que j'ai évité au carrefour tout à l'heure sont les seuls qui ont été aperçus ce matin, en effet nous sommes mercredi, la plupart sont à la chasse. Quand je vous dis que cette histoire est un amoncellement de clichés et de caricatures dans une zone de guerre !

Et quand la foule maintenant plus conséquente et plus dense forme un cordon presqu'aussi long que celui des GM, un appel prévient l'un des artistes engagés que des violences policières viennent d'avoir lieu au lycée à 15 KM suite aux blocus qu'ont mis en place des lycéens comme dans plusieurs établissements du département pour manifester contre la constructon du barrage. C'est à dire qu'au moment même où la foule commence à avoir un poids face aux GM, cet appel fait se retirer près de la moitié des participants vers le lycée concerné. Et là la messe est dite, la fenêtre de tir s'est refermée. Les machines ont gagné un jour de travail tranquille. Coïncidence ? Libre à vous de le penser. Mais dans une opération impliquant des militaires il y a toujours une stratégie.

La matinée touche à sa fin, je dois m'en aller à mon tour, je traverse à nouveau le champ puis le camp, j'ai le cœur lourd. Je pense à ce que j'ai d'utile chez moi, je pense à mon pare-pierre de motocross, à mes docs martens, au panneau sens interdit bricolé en bouclier... je pense à revenir et foncer dans le tas. Je sais que ce serait déservir le combat non-violent que mène tous ces gens depuis des mois, mais j'ai du mal à me défaire de l'idée, au bout d'un certain nombre de blessés, le contribuable s'intéressera peut-être à ce qui se trame ici, à ce racket caractérisé, à ce que l'on fait de son argent en ce moment. A savoir, payer une entreprise pour construire un barrage inutile et néfaste à l'environnement pour que des gros exploitants puissent produire plus de culture intensive pour les multinationales, et payer des dizaines de GM et soldats pour violenter des citoyens et parfois quelques lycéens. Le tout avec son argent, puisque les financements européens ont été coupés, et au détriment de l'avenir de ses enfants.

Et alors que je me saisis de la poignée de ma portière, c'est ma digue à moi qui cède, ce n'est pas la colère qui a gagné finalement aujourd'hui... je tombe à genoux, secoués de sanglots bruyants pétri de culpabilité, une fois de plus honteux d'être un homme...

Jeudi 18 septembre 2014

Mon courrier du matin ; mes narines se dilatent et mon poil se hérisse.

Monsieur Carcenac, président du conseil général du Tarn, qui ne cesse de chercher de nouveaux moyens de dépenser l'argent public, a décidé de l'employer maintenant à l'envoi d'une lettre de désinformation pour chaque tarnais. Je livrerai sûrement bientôt quelques passages des plus intéressants sur ladite désinformation contenue, les mensonges répétés et les aveux à peine voilés qu'elle contient, mais en attendant il vient de me livrer une raison de plus de soutenir l'opposition, pour qu'il nous envoie à chacun ce courrier, c'est qu'il n'est pas sûr de ses billes et sûrement pas à l'aise dans ses pompes et que le pouvoir de l'opinion publique peut encore tout changer.

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