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  • Photo du rédacteurKemi Outkma

Dimanche, un bouquin et du fric


Moi qui suis persuadé que ce sont les livres qui choisissent leurs lecteurs et non l'inverse, je ne peux résister à l'envie de partager avec vous un court extrait de ma lecture dominicale. Il s'agit du premier livre que je lis de J.K. Huysmans, le roman Là-bas paru en 1891 que j'ai entamé aujourd'hui et qui avant la vingtième page nous assène déjà:

"Enfin la plus désarçonnante des énigmes n'était-elle pas encore celle de l'argent ?

Car enfin, on se trouvait là en face d'une loi primordiale, d'une loi organique atroce, édictée et appliquée depuis que le monde existe.

Ses règles sont continues et toujours nettes. L'argent s'attire lui-même, cherche à s'agglomérer aux mêmes endroits, va de préférence aux scélérats et aux médiocres ; puis, lorsque par une inscrutable exception, il s'entasse chez un riche dont l'âme n'est ni meurtrière, ni abjecte, alors il demeure stérile, incapable de se résoudre en un bien intelligent, inapte même entre des mains charitables à atteindre un but qui soit élevé. On dirait qu'il se venge ainsi de sa fausse destination, qu'il se paralyse volontairement, quand il n'appartient ni au dernier des aigrefins, ni aux plus repoussants des mufles.

Il est plus singulier encore quand, par extraordinaire, il s'égare dans la maison d'un pauvre ; alors il le salit immédiatement s'il est propre ; il rend lubrique l'indigent le plus chaste, agit du même coup sur le corps et sur l'âme, suggère ensuite à son possesseur un bas égoïsme, un ignoble orgueil, lui insinue de dépenser son argent pour lui seul, fait du plus humble un laquais insolent, du plus généreux, un ladre. Il change, en une seconde, toutes les habitudes, bouleverse toutes les idées, métamorphose les passions les plus têtues, en un clin d'oeil.

Il est l'aliment le plus nutritif des importants péchés et il en est, en quelque sorte aussi, le vigilant comptable. S'il permet à un détenteur de s'oublier, de faire l'aumône, d'obliger un pauvre, aussitôt il suscite la haine du bienfait à ce pauvre ; il remplace l'avarice par l'ingratitude, rétablit l'équilibre, si bien que le compte se balance, qu'il n'y a pas un péché de commis en moins .

Mais où il devient vraiment monstrueux, c'est lorsque, cachant l'éclat de son nom sous le voile d'un mot, il s'intitule le capital. Alors son action ne se limite plus à des incitations individuelles, à des conseils de vols et de meurtres, mais elle s'étend à l'humanité toute entière. D'un mot le capital décide les monopoles, édifie les banques, accapare les substances, dispose de la vie, peut, s'il le veut, faire mourir de faim des milliers d'êtres !

Lui, pendant ce temps, se nourrit, s'engraisse, s'enfante tout seul, dans une caisse ; et les Deux Mondes à genoux l'adorent, meurent de désir devant lui, comme devant un dieu.

Eh bien, ou l'argent qui est ainsi maître des âmes, est diabolique, ou il est impossible à expliquer. Et combien d'autres mystères aussi inintelligibles que celui-là, combien d'occurences devant lesquelles l'homme qui réfléchit devrait trembler !"

Sur ce, bonne fin de dimanche à vous tous, moi je vais continuer cette lecture.

Bon vent à toutes et à tous.

K.O.


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