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  • Photo du rédacteurKemi Outkma

Les chroniques de James Nadier: Première partie


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Quand même, on a beau avancer l'ignorance comme circonstance atténuante, le cul-terreux est xénophobe, au sens littéral, l'étranger fait peur, et l'étranger qualifie déjà celui qui est né ailleurs que dans le département, voire dans le canton. L'étranger, il vaut mieux s'en méfier, il pourrait bousculer les repères, mettre en péril l'ordre établi et sa codification, ses habitudes ne sont pas les mêmes, sa tenue vestimentaire non plus et il ignore la plupart des règles de conduite de base de chez nous.

Par exemple, il y a quelques mois, un couple de retraités anglais, a acheté une masure au bord de la ruine au bout de mon impasse. Nous sommes donc voisins. Nous avons rapidement fait connaissance et nous nous retrouvons depuis régulièrement pour prendre le thé. En tout cas, Linda boit le thé, et Allan, son mari, l'accompagne ou me suit à la bière ou au whisky. Un des avantages de ces interlocuteurs, c'est qu'ils n'écorchent pas mon prénom, mais il va sans dire que j'ai dû leur livrer une explication quant à son origine, un prénom anglo-saxon pour un homme de mon âge vivant dans la France profonde a quelque peu suscité leur curiosité. J'ai donc dû leur expliquer l'idolâtrie de mon père pour la série « Les mystères de l'ouest ». Je sais que la référence n'est pas des plus reluisantes aussi j'évite généralement d'en faire étalage. Ceci dit j'ai eu la chance que la virilité de l'homme à femme qu'était James West séduise davantage mon père que l'esprit scientifique et le don de grimage de son acolyte, sans ça j'étais bon pour « Artémus ».

S'ils sont pour moi l'occasion de franches discussions sans amertume et d'exercices d'anglais- j'ai toujours maîtrisé cette langue mais à force de ne plus m'en servir, elle est devenue rouillée et lente à s'extraire- ils sont pour l'ensemble des autres habitants les prémices d'une véritable invasion barbare, vous verrez que bientôt d'autres familles de rosbeef achèteront d'autres de nos bâtisses à l'abandon et se feront un hameau britannique, une enclave colonialiste, où la viande sera bouillie, la bière tiède et qu'on y fêtera halloween en mangeant de la gelée et du pudding !!!

L'indignation et le mécontentement grondent. Heureusement les institutions religieuses présentes ont en commun d'enseigner le savoir-vivre à leurs ouailles (pour le savoir-laisser-vivre il vaut mieux compter sur le bistrot à condition de payer souvent sa tournée) ce qui a évité jusqu'à présent le lynchage en place publique sur fond de Marseillaise. Toutefois les signes ne trompent pas pour qui est habitué à évoluer dans cette fumisterie hypocrite que certains nomment la tranquillité rurale.

Au sortir d'un tea-time avec mes voisins, je me suis rendu au bureau de poste récupérer un colis. L'avantage d'un petit bureau de campagne, c'est l'absence quasi-totale de clients et donc l'accessibilité rapide au guichet du préposé. L'inconvénient c'est que le préposé en question est toujours le même, en l'occurrence Mme Sideau, veuve de son état (son mari a toujours été un veinard) qui vous regarde avancer vers son visage de batracien adipeux de ces yeux torves par dessus ses lunettes tel un chien de garde méchant attendant votre proximité pour vous mordre. Lorsque vous arrivez enfin à son niveau, ses yeux se détachent de vous pour scruter intensément l'écran de son ordinateur. Ses doigts boudinés couverts de bagouzes en toc, vulgaires et clinquantes, tapent répétitivement les mêmes touches avec une agilité de pachyderme puis un soupir digne d'un soufflet de forge répond à votre « bonjour » afin de mieux encore vous faire comprendre à quel point votre présence et votre future requête sont impromptues et nuisent au travail indispensable qu'accompli cette fonctionnaire d'élite sans qui tout le système administratif de cette agence partirait à vau l'eau.

  • Oui, lâche dans un second soupir sonore l'antipathique feignasse

  • je viens récupérer un colis s'il vous plaît

  • Au nom de Nadier c'est ça, croit-elle utile d'ajouter très professionnelle

  • Yes, réponds-je alors par inadvertance encore dans ma conversation avec Allan et Linda

  • Ah ! C'est à côté d'chez vous qu'ils sont installés les anglais ?

  • En effet c'est ça.

  • Et vous parlez anglais vous ? Hein ?

  • En effet oui, ça simplifie nos relations de voisinage

  • Mais c'est pas vous qui doit parler anglais, c'est eux qui faut qu'ils parlent français sinon c'est sûr, ils croivent que tout le monde parle leur langue !

  • Et bien si nous attendons d'eux qu'ils maîtrisent un jour le français, souhaitons-leur de n'apprendre ni avec vous, ni avec vos professeurs !

  • Mais... pou... pourquoi qu'vous dites ça Monsieur Nadier, me demande la mégère vexée, prête à sortir les griffes

  • parce qu'ainsi ils auraient une chance de réellement pouvoir parler français un jour. Et puis allez savoir, peut-être pourraient-ils alors vous apprendre à vous aussi à utiliser cette langue à laquelle vous semblez tant tenir mais que vous paraissez si peu connaître. Voyez-vous, par exemple on ne dit pas « c'est eux » mais « ce sont eux » ou encore « ils croient » et non « ils croivent » mais ce ne sont que quelques subtilités bien peu importantes à côté de votre ignorance de la syntaxe.

La voilà bouche bée, j'ai la même vision qu'une mouche prête à se faire gober par un caméléon, elle cherche une répartie, un mot d'esprit dans sa tête qui en est dépourvue, tandis que je lui souris. Puis j'enchaîne :

  • Toutefois, n'étant pas plus votre professeur que vous n'êtes mon élève, il me plairait maintenant de signer votre papier afin d'obtenir mon colis et retourner vaquer à mes affaires.

  • Voilà, dit-elle glaciale en accédant à ma requête.

  • Merci et bonne fin de journée !

Je quitte la poste toujours le sourire aux lèvre et je me dis que vraiment, un petit instant de bonheur ça tient à peu de chose.

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