Sur les marches de la boucherie, à regarder « le bourg » (comprenez la place principale du village de 2500 habitants où j’ai grandi) autour duquel gravitaient le tabac, les 2 boulangeries et les 3 troquets, on zonait. Parfois aussi à l’aire de jeux pour enfants à côté de la station d’épuration. On avait 15 ans et on se faisait chier. On attendait d’être des hommes, des adultes… pour avoir de la thune…on savait pas… On avait nos panoplies : nos frêles épaules cachés par nos bombers, nos jambes filiformes de glandouilleurs anti-sport empaquetées dans nos jeans déchirés et nos pieds nauséabonds d’adolescents manquant d’hygiène enfermés dans nos doc martens coquées. On écoutait les bérus qu’étaient déjà morts et pas encore tout à fait récupérés. On se prenait pour des punks. On jouait aux durs. Pour faire comme nos pères on picolait. On buvait de la bière…enfin de la grafen walder, de la valstar, de la fink brau. Et les jours d’argent de poche on s’offrait de la kro et une ou deux bouteilles d’alcool à 40 balles. Whiskey, vodka, tequila, gin… peu importait le nom sur l’étiquette…de toute façon la bouteille à 40 balles c’est juste pour se faire mal. Pour se prouver qu’on n’était pas nos pères, on fumait du cannabis… Enfin on fumait du sale shit ignoble dans des bangs artisanaux dégueulasses. On se ruinait déjà la santé en nommant cela « profiter de la vie ». Faut dire, y a pas grand chose à faire au fin fond de la campagne vendéenne à part se mettre la tête et faire les cons. On critiquait les flics qu’on ne voyait jamais que tous les samedis soirs, au même carrefour, armés de leurs alcootests. On se bastonnait presque tous les week-ends… avec d’autres bandes de branleurs venues d’autres villages… des types qui se faisaient autant chier que nous…
On a passé notre adolescence comme ça, à se défoncer la tête… dans tous les sens du terme…
On n’a jamais été aussi heureux que durant ces années-là…
On avait quinze ans, on se croyait éternel et le temps se traînait à n’en plus finir.
Et puis un jour on est devenus majeurs, on a eu des bagnoles pour remplacer nos mobs. On a découvert les free-party, le l.s.d., les ecstasy…la cocaïne. On a balancé nos anciennes panoplies, on les a troquées contre des vestes kakis, des treillis et des skate-shoes. On a squatté les champs boueux, les zones industrielles, les usines désaffectées, les chantiers d’autoroutes. On s’est vrillé la tête des jours durant, des semaines entières….on a baisé à l’arrière des bagnoles, au cul des camions, à plusieurs, sans toujours se rappeler avec qui… à combien…ni si c’était avec mec ou meuf…On écoutait de la tek hardcore jour et nuit, on picolait de la 8.6 et les jours de nos premières paies d’intérim à l’usine, on continuait à s’offrir des bouteilles à 40balles en sus des pochons de coke et des plaquettes de trip. On se prenait pour des vrais teufers. On jouait à être libre. On se camait avec d’autres fausses tribes de vrais perchés qui venaient des quatre coins de la France… et qui s’en foutaient autant que nous.
On est devenus adultes comme çà, sans regarder, en s’en moquant…
On ne s’est jamais autant compris que durant ces années-là…
On avait 18-20ans, on se croyait immortel et le temps passait à côté de nous.
Et puis on a commencé à se séparer, à se disperser… C’est là qu’on a commencé à crever…tous…un par un… Un bon nombre s’est tué sur la route, beaucoup d’autres dans la came, certains au bout d’une corde… D’autres enfin se sont tués par résignation, ils se sont finalement accrochés à leurs petits boulots, ils se sont faits de petites vies, se sont construits leurs bunkers sécurisants de certitudes et se sont tués en tant qu’individus… Peu ont survécu. Je fais partie de ceux-là. Je suis parti de là-bas pour m’en aller me perdre sur les routes de France et du Maroc principalement. Sur les voies des tripés, les chemins des allumés…qui furent les sentiers des désillusions…Il m’a fallu presque 15ans d’errances et d’expériences, une psychothérapie et la médication qui va avec, puis le sevrage…presque plus dur que celui de la coke…avant de trouver celle qui m’a permis d’accoucher de moi-même… avant de me retrouver. Avant d’être ici, à continuer à écrire, à continuer à chercher… à continuer à croire… J’ai plus de 30 ans, peu d’entre nous sont arrivés jusque là…Je ne vais jamais revoir ces lieux de ma jeunesse…trop de souvenirs, trop de moments à vomir, trop d’anciens amis à honnir, trop de tombes à fleurir…J’ai pas beaucoup changé… Je n’ai toujours pas de vrai travail, toujours pas d’argent, toujours pas d’ambitions ou de désirs dans cette société… Mon corps est douleur, conséquence des bagarres et des accidents. Mon esprit est chaos, souvenirs des royaumes artificiels explorés trop souvent. Mon âme est torture, mémoire d’un adulte qui reste un adolescent. Mais si Dieu m’a donné ma croix, il m’a aussi donné la force de la porter… Je ne bois plus, je ne me défonce plus, je n’erre plus, je ne me cache plus, je ne me mens plus, je ne me fuis plus, je ne me tais plus. J’écris, j’écris, j’écris… Et parfois, je crie.
Je vais avoir 32 ans, je me sais éphémère et le temps à présent passe beaucoup trop vite…
(Journal de K.O. le 16 Juillet 2009)
댓글